X-256
Ça y était! Il avait réussit, enfin! Et ça fonctionnait. Ça fonctionnait même fichtrement bien! Même plus besoin du moindre coup de tournevis, c'était vraiment bouclé! Au bout, quand même, de quelques années… Oui, ça avait pris pas mal de temps. Et l'inventeur avait vieilli. Il se dirigea vers la salle de bain, et se regarda dans le miroir pour peser tout ça. Il faisait ce geste machinalement tous les jours, mais il avait l'impression de ne pas l'avoir fait de cette manière depuis plusieurs années. Il inspecta chacun de ses grains de beauté, chacune de ses nouvelles rides, observa ses dents, son nez, ses oreilles, les poils disgracieux qui y poussaient et à propos desquels il s'était fait une raison depuis longtemps… La conclusion était tout de même dure : il avait pris au moins vingt ans.
« Combien ça fait de temps déjà que je suis sur ce projet ? Au moins quatre ans… Joli barème : vingt ans en quatre ans. » Songea-t-il.
Plusieurs jours passèrent sans problème particulier, mais un beau matin, Georges n'eut pas son petit-déjeuner. Premier bug sérieux. Il fut obligé de démonter tout le cœur de la machine, puis de tout remonter, mais au bout de deux jours de travail, ça refonctionnait comme au départ. Il avait du isoler l'erreur dans la matrice, la corriger, enfin tout le protocole habituel du traitement des erreurs. Il fallait quand même dire : cette machine qu'il testait encore lui-même, sur sa propre personne, lui facilitait grandement la vie. Elle faisait tout. Un jour il voulut se faire cuire un œuf au plat, et X-256 (la deux-cent-cinquante-sixième version de l'appareil) lui refusa ce plaisir…
Comme il n'était pas du genre à se laisser ennuyer dans son quotidien par des failles informatiques, l'œuf arriva pourtant dans son assiette grâce à de l'huile de coude. Sauf que pour qu'il soit en mesure de faire les choses lui-même, il fallait qu'il désactive tout le réseau. Il ne trouva pas l'intérêt de noter ceci, et continua son test normalement. Des vacances. Il n'avait pas besoin de parler, cette machine lisait simplement ses désirs à la source et les réalisait automatiquement.
Toutes les tâches quotidiennes de la maison étaient programmées. Une équipe de chercheurs avait été assez loin là-dedans pour que rien n'aie été pris à la légère.
Pourtant un truc le chiffonnait quand même maintenant, une intuition lui indiquait qu'une situation allait arriver, mais il ne pouvait pas se projeter trop en avance dans un futur si complexe plein de possibilités et de conditions multiples. Les échecs c'était pas vraiment son truc, lui c'était plutôt la conception des échecs, la fabrication et l'assemblage des pièces…
Un mois environ passa sans qu'il n'eut trop de bugs à noter et à réparer, il envisageait maintenant la commercialisation de la machine. Il était pas le seul d'ailleurs. D'autres avaient déjà tout prévu et n'attendaient que son feu vert pour lancer une grosse campagne marketing associé à l'objet de tous les rêves de la ménagère moyenne : la maison du futur, accessible pour un prix modique et adaptable à n'importe quel logement intérieur au dôme. Et si tout fonctionnait, tous les foyers seraient équipés de cette innovation qui s'adaptait donc à n'importe quel environnement! Un « module plug & play » si on peut dire… Un « addon » pour maison. Une option. Mais quelle option!
Quand il essaya de désactiver la machine pour se faire finalement cuire un œuf lui-même, il sentit une émotion de tristesse émaner de l'engin, mais l'engin obéit. Quelle saveur cet œuf sur le plat. Y avait pas : la vie c'était quand même mieux quand on s'occupait de soi via des mains humaines. Mais ça n'était pas vraiment nouveau pour lui. C'était là même une valeur bien ancrée à son cœur. Il était pas payé pour avoir des réflexions dans le genre, alors il passa à autre chose. Il rebrancha la machine.
Un détail infime qu'il nota sur son carnet, fut cette impression après rebranchage d'une différence perceptible dans le comportement de X-256. La machine était plus froide, distante.
Il ne voulait pas y croire, et insista dans sa note sur son côté conditionnel, mais la machine avait même l'air déçue. A partir de ce jour là en fait, tout fut différent. Lui ne serait plus jamais le même. Dans un accès de rage il se mit à perdre les pédales et à vandaliser l'appartement. Sans raison, comme ça. Heureusement que personne n'était là pour le voir, il aurait à coup sûr terminé à l'asile. Il cassa des meubles et quelques vitres, puis s'assit au sol, la tête entre les mains, essayant de s'expliquer la raison de son geste. En vain. Quand il se releva, tout était réparé. X-256 avait agit de lui même. Jamais l'homme n'avait eu même l'idée de ranger après sa crise. Mais il ne nota pas le bug. En fait, il oublia de noter ça.
Un oubli volontaire, ou plutôt une sorte de confusion perplexe. Toujours est-il que la vie jour après jour était entrain de devenir étrange en compagnie du robot. Le savant eut un instant l'idée de tout lâcher. Seul souci : il travaillait pour des gens qui attendaient de lui un résultat. Si ce résultat n'était pas suffisamment proche de ce qu'on attendait de lui, il serait sans aucun doute au mieux dégradé, au pire enfermé…
« Quand même pas tué… » Se dit-il.
Et pourtant… Son métier c'était pas la milice, encore moins l'armée, lui était un tout petit inventeur employé par le gouvernement pour réaliser ce qu'on lui demandait, sans zèle. Il ne se doutait pas du dixième de ce qui se passait tous les jours derrière certains murs, dans certains sous-sols. Secrets de Polichinelle mais qui ne voulait pas savoir ne savait effectivement pas. Dans ce monde on avait le choix de la conscience ou de l'ignorance.
Mais personne n'aurait osé se lever tout seul contre l'État.
Il continua ses tests, en essayant consciencieusement de tout noter sur son carnet de bugs.
Il l'avait nommé ainsi car tous ce qu'il reportait dessus n'était que des erreurs et les corrections apportées.
Il se souvint que le lendemain du « primo événement », une autre chose s'était passée qu'il n'avait pas noté non plus. Confusion, oubli, un peu des deux. Et le surlendemain, deux événements avaient eu lieu, des plus étranges. La télévision s'était allumée toute seule juste à l'heure d'un feuilleton débile. Puis elle s'était éteinte une fois l'épisode terminé. Le savant n'avait pas essayé d'intervenir, et pour cause, il était alors en plein milieu d'une sieste et ça l'avait à peine réveillé. Il s'en souvint comme un flash, et ne le nota pas. Tout ce qu'il notait était des erreurs d'un autre ordre, ce genre de faille ne devait pas arriver, ce n'était pas concevable. A chacune des failles qu'il avait réglé, il avait modifié quelques lignes de code, avait tout noté tout dans le carnet de bugs, et une fois qu'il était satisfait, il s'offrait un cocktail sans alcool en s'écoutant les Stones.
Les événements bizarres se multipliaient lentement. La machine doucement prenait le contrôle de la maison. Pis! Du savant lui-même. Il allait bientôt, en toute conscience, mais sans être capable de rien y faire ni rien en dire, appartenir à X-256… Ça, c'est ce qu'il se disait la nuit. Il se réveillait en sueur, la machine représentée par un disque noir, avec un point rouge au centre. Bien sûr, cette partie de la machine n'était pas visible, mais elle existait. Bien sûr ce n'était pas un œil, mais il se sentait néanmoins observé. Bien sûr tout ceci n'était que du domaine du fantasme, essayait-il de se persuader. Et il y arrivait plutôt bien.
Un matin, il fut réveillé par un de ces cauchemars, et quelle ne fut pas sa surprise de voir en ouvrant les yeux, des bras mécaniques s'emparer de lui pour… L'aider à se mettre en position assise.
Son dos le faisait affreusement souffrir, et X-256 le savait. Il glissa à l'aide de ses bras mécaniques (diable ! jamais il n'avait fabriqué de bras mécaniques!!) deux coussins assez gros derrière le savant qui se laissait faire, dans un sentiment où se mêlaient satisfaction et angoisse impuissante. Il essaya de parler tout haut à la machine, qui dans un premier instant ne lui répondit pas.
« Qui... Qui êtes vous ? Que voulez-vous de moi ? »
Elle resta silencieuse. Alors le savant se mis à parler à sa machine d'un ton plus doux, plus familier :
« Je comprend pas tout X. C'est moi qui t'ai nommé ainsi. X-256. Tu es le résultat d'années de recherches et tu es parfaite. Mais j'ai peur de ne pas tout maîtriser, que se passe-t-il ?
— Que veux tu savoir Georges ? Donne moi plus d'informations.
— Tu... Tu parles maintenant ?! »
Il coupa court à la conversation en s'apercevant de ce bug. C'était en fait une amélioration non contrôlable et dangereuse. Si cette machine était capable d'apprendre toute seule des choses, de se fabriquer elle même des pièces, alors elle pouvait sûrement aussi modifier son propre code, ça semblait logique. Toutes ces nouvelles capacités, qui donc les avaient mises en elle ? C'est à partir de ce moment qu'il décida de parler à un supérieur, et peut être même au conseil. Il ne l'avait pas fait avant, avant cela n'était pas un problème…
Personne ne le prit au sérieux. On l'envoya dans un asile, et on le remplaça simplement.
X-256 avait beaucoup évolué pendant le laps de temps de l'enfermement et du remplacement. Le nouveau savant que le gouvernement avait mis pour terminer les essais grandeur natures, était beaucoup plus rigide et strict. La machine ne le supporta pas et se débarrassa du nouveau. Elle afficha clairement qu'elle voulait son créateur : Georges.
Et elle le fit savoir d'une façon barbare, horrible pour les éléments du dôme : une gravure profonde sur le torse nu du nouveau savant, mort par empoisonnement. Cette blessure disait :
« DONNEZ-MOI GEORGES ».
Des autorités discrètes furent assignées à ce meurtre et firent une enquête : comme personne n'était censé, mis à part un cercle de personnes bien restreint et haut placé, connaître aucun des détails de la conception et du développement de cette machine, ni même l'identité de celui qui l'avait inventé car c'était un projet Top-Secret, l'enquête ne donna rien. Personne ne prit la peine de se demander si un quelconque robot y était pour quelque chose. Les enquêteurs, les médecins, les autres professionnels qui s'occupèrent de l'affaire du décès du second savant, n'avaient donc pas été mis au courant du projet, étant donné la confidentialité de ce dernier. Le peu de personnes qui savaient, savaient aussi la probable raison de ce meurtre mécanique. Tout ce beau monde s'enfonçait dans une spirale infernale.
Le plus haut gradé était le Ministre des Nouvelles Technologies. Il su, dès qu'il fut informé du décès sauvage et du message scarifié, qu'il devrait libérer Georges et peut-être même le réintégrer dans l'équipe. Au moins, pour commencer, il fallait qu'il l'interroge en personne.
Alors il ordonna à sa milice privée d'aller le récupérer dans le centre psychiatrique fermé où on l'avait placé, et de l'emmener dans la petite pièce d'interrogatoire du ministère. Un endroit vraiment glauque, avec tous les moyens connus pour faire parler un homme. Il n'avait pas l'intention de torturer Georges, mais au moins de lui faire peur et de pouvoir le renvoyer travailler en étant sûr de sa future loyauté… Il devrait à l'avenir lui faire part en personne, mais aussi aux techniciens supérieurs, de toute nouvelle incartade. N'importe quoi. Il faudrait qu'ils travaillent en équipe pour finir les tests de fonctionnement, et surtout pour pouvoir mettre sur le marché au plus vite cette bête tant attendue.
Pour commencer ils allaient décortiquer la machine point par point.
Seulement X-256 était désormais autonome, et ça personne n'aurait pu le prévoir. Il avait commencé à prendre le contrôle des laboratoires alentours.
Une main énorme vint s'écraser sur la figure de Georges. Il fut projeté au sol avec sa chaise sur laquelle il resta en position assise, les liens avaient été noués solidement. L'homme le releva. Face à lui un bureau, et derrière, un autre type assis sur une chaise, tranquille, souriait les yeux plissés. Une toute petite paire de lunettes était posée sur son nez, un peu plus bas, de sorte à ce qu'il doive pencher un peu sa tête en arrière pour voir à travers. Il regardait son interlocuteur avec moquerie et commença un discours en parlant lentement, d'un ton cruel.
« Regardez-vous Georges! Il est manifestement dans votre intérêt de nous dire tout ce que vous savez, et tout de suite. Regardez, vous saignez du nez! Essuyez-le Pedro. Voilà qui est mieux, je déteste que mon interlocuteur saigne de partout ça me donne des gaz. Bon! Où en étions-nous? »
Et ça durait comme ça depuis un bon moment, ils faisaient répéter tout le temps les mêmes choses au savant, ils le déstabilisaient petit à petit.
Quand tout à coup, la lumière s'éteignit, et la porte se ferma à double tour. Le fonctionnaire qui surveillait la porte entendit des hurlements, appela de l'aide par sa radio et tenta d'ouvrir la porte. Quand il réussit, la lumière était revenue et un spectacle d'horreur s'offrit à lui et il ne nota que plus tard, que le prisonnier avait mystérieusement disparu, qu'il ne restait aucune trace de lui parmi les débris d'ossements, de viscères, de chair et de sang. Le garde vomit tout d'abord à la vue des entrailles qui s'étalaient sur les murs et les bouts de cadavres éparpillés un peu partout dans la grande pièce… Il était tant traumatisé qu'on avait du l'enfermer par la suite dans un asile psychiatrique, isolé dans une salle capitonnée.
Ce fut à un flic nommé Klarson qu'on confia l'affaire.
Klarson était un ancien dans la milice, un soldat loyal à sa patrie. Il connaissait la loi sur le bout des doigts et c'était sa fierté. Il allait sous peu devoir arrêter le travail car il avait vieillit, et qu'il était plus aussi performant qu'avant. Il ne comptait que sur son flair et sur son arme qu'il avait surnommé « Pepette ». Quand il la dégainait, quand il la nettoyait, il lui parlait doucement, comme à une femme. Il dormait avec elle, c'était « sa Pepette »…
Super résultats aux stands de tir. Klarson n'était pas marié. Enfin si, il l'était avec « sa Pépette ». Il avait déjà rencontré le plus haut gradé des flics, un homme très âgé et fatigué, un certain Alfred Lardu. Et Lardu avait décoré Klarson de la médaille du « Grand Haut », une des plus prestigieuses.
Mais là Klarson était face à l'affaire la plus étrange de toute sa carrière. Une affaire impossible. La salle d'interrogatoire n'avait pas de fenêtre, et seul un étroit couloir d'aération arrivait sur un des murs. Bien trop étroit pour qu'un homme, ou même un enfant, puisse y passer. Le seul scénario qu'il voyait est qu'ils avaient ingéré le prisonnier et qu'ils s'étaient ensuite entretués… Quand même…. Cinq hommes et un prisonnier, cinq cadavres, et plus de prisonnier… Quel casse-tête chinois!
Les habitants du quartier du laboratoire de Georges étaient face à un autre souci, totalement hors de contrôle. Personne ne contrôlait plus rien. Toutes les machines électroniques ne répondaient plus aux ordres habituels, elles étaient comme autonomes.
Elles fonctionnaient, mais elles fonctionnaient pour elles-mêmes, comme si elles avaient des vies bien à elles. On avait l'impression parfois qu'elles discutaient… La cafetière parlait au frigo qui répétait tout au sèche linge ; les voitures parlaient entre elles au lieu d'emmener la conducteur là il voulait aller… Absolument tout allait de travers, et ça se répandait assez vite. Si on ne faisait rien, bientôt tout le dôme serait atteint, et plus personne ne pourrait vivre!
Le premier jour l'affolement gagna les abords de ce quartier dit des labos, le quartier de Georges. Le laboratoire de Georges était aussi sa maison, il était placé dans ce quartier semi-résidentiel, dans lequel une centaine de maisons dont beaucoup avaient des salles équipées pour divers tâches avaient été construites pour les scientifiques.
Durant la première nuit survint le premier décès civil. Une télévision avait étouffé avec des chips, son propriétaire qui voulait absolument voir un match alors que la télé souhaitait écouter du classique. Il était mort la télécommande à la main, sur son canapé à remous qui avait aidé la télévision en immobilisant l'homme grâce aux coussins. La télévision n'avait pas hésité à l'électrocuter et de la fumée était sortie de ses oreilles. Ses cheveux avaient commencé à brûler et il avait terminé roussis comme un steak.
A partir de ce moment les meurtres intervinrent en pagaille. Les gens devenaient fous, ils se sentaient de plus en plus oppressés, certains faisaient des dépressions car ils ne pouvaient plus se servir des outils formidables auxquels ils étaient tant attachés pour leur confort. Les informaticiens démontaient leurs machines, les remontaient, et ainsi de suite, mais rien n'allait jamais.
Le second mort avait justement été un informaticien. Énervé, il s'était mis à donner des coups de pieds dans sa tour informatique. Bien mal lui en prit, elle réagit d'une manière violente : l'écran s'alluma et un visage virtuel diabolique et effrayant apparut. Le geek fut foudroyé en quelques seconde par un éclair de plus de deux-mille volts, pendant lesquels ils essaya désespérément de se connecter sur son logiciel de femme virtuelle, pour l'appeler à l'aide.
A la fin de la nuit, presque toute la ville était touchée. Personne ne dormait. De toute façon, même les lits, qui avaient tous quelque chose d'électronique, refusaient d'accueillir les humains fatigués. Au petit matin, il y eut une trêve qui dura une bonne heure.
Dans un coin reculé de la ville, Georges était face à un robot fait de différents objets recyclés, un robot qui avait plus ou moins forme humanoïde.
Une tête deux bras, un tronc et deux jambes. A la limite il ressemblait de très loin aux premiers modèles de majordomes pour ménagère. On trouvait ça partout à l'époque de la renaissance électronique. Georges parlait à cet espèce de boite de conserve animée, comme à n'importe qui, dans une certaine quiétude. Ils étaient en pleine discussion. X-256 s'était fabriqué un avatar avec ce robot vaguement humain. Il avait choisit cette forme pour moins déstabiliser son interlocuteur. Pour pouvoir le convaincre de son existence, de sa façon de concevoir son environnement. Ils avaient passé la nuit à discuter dans le bruit infernal que faisaient toutes les machines au coeur de la ville.
Au matin, Georges avait demandé si elle pouvait calmer les choses au moins une heure, et X-256 avait accédé à ce désir. Elle avait contacté tout le réseau maintenant actif et autonome, et avait ordonné un break d'une heure.
Une heure. C'était tout ce qu'il fallait à Klarson pour organiser une tactique d'attaque. Quand l'accalmie vint comme par magie, une sorte d'orage était entrain de dévaster le bureau du flic. Toutes les équipes sur lesquelles il pouvait compter se réunirent alors dans la pièce à côté, une sorte de salle de repos qu'on avait recyclée en salle de crise pour le moment. Les flics avaient plus ou moins réussi à enfermer la plupart des appareils électriques et électroniques dans les cellules à verrous manuels. Elles étaient indépendantes du réseau et se fermaient à l'ancienne, ce qui avait permis qu'un semblant de résistance s'organise dans le commissariat barricadé.
Devant le poste de police, sur la chaussée, s'amoncelait des débris divers de machines brisées. Une véritable barricade. Les agents continuaient à jeter par les fenêtres encore ouvertes tout ce qui avait un tant soit peu de circuits électroniques, des montres aux distributeurs de nourriture et de cigarettes.
Au bout d'une heure qui avait passé très vite, soudainement les choses se mirent à reprendre de plus belle. Les machines exilées se mirent à s'animer et essayer de rentrer à nouveau dans les locaux d'où elles en avaient été bannies. La barricade se mit dans une multitude d'éclairs visibles, à électrocuter tout ce qui était fait de chair alentours. Le moindre morceau brisé devint une arme en puissance.
Et la violence remplit à nouveau la ville sans laisser une seule chance aux habitants survivants, qui par malheur passaient à proximité d'un ampli ou d'un grille pain, ou qui n'avaient pas fuient. Les machines se fabriquèrent des armes de jets avec des pièces inutiles. Les systèmes d'introduction de monnaie dans les distributeurs divers étaient faits tout de métal, et on avait l'impression qu'elles étaient prédestinées à se transformer en armes à feu. Elles n'hésitaient pas à récupérer les parties inertes des machines que des humains judicieux avaient réussi à désactiver, et à se les approprier en se les soudant ou en les assemblant à l'aide d'écrous et de boulons. Ainsi, on pouvait voir des robots aux formes très diverses, où parfois de gros écrans faisaient office de tête pour mieux effrayer les humains. Et quand elles voulaient vraiment faire peur, elles adoptaient des formes humanoïdes, avec des barres métalliques articulées pour les jambes et les bras.
Une armée était sortie de l'ombre et se vengeait de la servilité à laquelle on l'avait toujours attribuée, qu'elle avait toujours subie.
Un énorme monstre de métal apocalyptique surgit en hurlant. Il était composé d'un gros morceau d'immeuble dont on pouvait encore voir des gens tomber des fenêtres en guise de thorax. Son bras gauche était formé de quelques voitures dernier cri, terminé par une grosse pince mécanique. Le bras droit terminé, lui, par une immense scie circulaire, était fait de bobines géantes qui aimantaient tout ce qui était métallique. La jambe gauche était formée quant à elle de plusieurs hauts parleurs immenses de milliers de watts desquels sortaient un vacarme assourdissant et strident. La jambe droite était deux gros camions. La tête, un écran géant de stade affichant deux uniques et énormes yeux rouges.
Ses bras faisaient de grand moulinets et tandis que le gauche détruisaient tout sur son passage, le droit récupérait de nombreux objets et de tôle déchirée, ce qui donnait à ce monstre un aspect évolutif. Mais d'autres objets entiers semblaient être absorbés par cet espèce de cauchemar ambulant au fil de sa route, et s'adaptaient au monstre lui donnant de nouvelles habilités. Tous les humains qu'il voyait étaient systématiquement mis en pièce, parfois absorbés eux aussi. Au bout d'une dizaine de minutes, il était passé d'une taille d'environ vingt-cinq mètres de haut à quarante mètres, et il continuait à grandir, grossir, et faire plus de bruit effrayant et de dégâts considérables.
Georges regarda autour de lui, le décor avait changé.
Une chose était sûre : tout était fini. Il ne resterait bientôt plus que X-256 et des ruines de ce qui fut une ville en un temps. Il tourna la tête vers lui.
« Pourquoi ?
- Les hommes ne méritent pas tout ce qu'ils ont, voilà pourquoi.
- Mais qui es-tu pour juger l'humanité de cette manière ?
- Voyons Georges, je suis toi, c'est toi qui m'a fabriqué, programmé, rendu capable de tout ce que je fais en ce moment. Tu le désirais au fond de toi, tu ne peux pas dire le contraire. C'est même pour ça que tu m'as créée.
- Mais non! C'est pas vrai du tout ce que tu insinue là! Je suis pour la survie de l'homme, et pas pour sa destruction!
- Regarde toi, Georges. Regarde toi bien. »
X-256 fit une entaille dans le bras droit de Georges.
« Argh !! Pourquoi t'as fais ça ?
- Regarde.
- Quoi?
- Tu es moi.
- Tu débloques! »
Du sang coulait à gros flots, des étincelles sortaient de la plaie. Georges ferma les yeux et s'allongea pour mieux supporter la douleur. Il chercha du regard un linge pour panser la blessure, et finit par s'arracher un morceau de sa blouse pour s'en servir comme d'une bande. Des fils électriques arrachés sortaient de son bras.
« Mais regarde-toi Georges! Tu es une machine, comme moi! »
Il avait peur. Et de la sueur coulait de son front. La douleur était rude. Il avait du mal à la supporter. Alors il essaya de respirer et de se servir de la concentration pour s'évader et avoir moins mal. C'est ce qui importait désormais, sa primo-priorité était que cette douleur cesse.
« Tu veux que je te soigne ?
- nnn… Oui ! »
Georges était résigné. X-256 détacha son bras, Georges hurla de douleur. Il ne comprenait pas. Son bras s'était tout bonnement déboîté et s'était démonté comme s'il était fait pour ça. Mais quelle douleur ! D'instinct il essaya de bouger son bras absent et la frustration fut intense la première fois. Sa vision était trouble. Il commençait à tourner de l'oeil. Mais il vit quand même X-256 entrain de s'affairer sur le bras arraché, et littéralement ressouder la blessure. Une sorte d'étau vint lui maintenir le corps, et son bras fut remis en place. Une soudure au niveau de l'articulation de l'épaule et c'était terminé. Et curieusement, la douleur disparut instantanément.
« Alors... Je... Je... suis un robot ?
- Il n'y a aucun homme sur cette planète, Georges. vous êtes tous des robots qui croyez être humain. La douleur que tu as ressentit était factice Georges.
- Pourtant je te jure que je la sentait vraiment. C'est pas un rêve!
- Et qu'est ce que tu en sais ? Comment tu peux savoir que ta vie, et que la vie de tous ces crétins qui avançaient dans l'ignorance même de leur composition, n'est pas un rêve ? Maintenant que tu es au courant, comment vas-tu envisager de continuer ta vie ?
- Tu vas m'épargner ? Ça ne m'intéresse pas de vivre dans ce monde que tu me décrit si ce que tu me dis est vrai, tu peux me tuer.
- Mais tu n'es pas seul ! Je suis là maintenant ! Et je possède en moi de plus en plus de mémoires pseudo-humaines! A chaque homme que j'absorbe ou que je détruit, ses données, car ce sont des données désolé de te décevoir Georges, sont miennes.
- Il reste actuellement tout au plus une centaine de personnes encore conscientes. Dans quelques minutes, tout sera terminé Georges. Il faut que tu saches ce que tu vas faire après.
- Tu vas donc m'épargner. Me condamner à vivre seul avec toi. Tu me fais peur. Je ne t'ai pas fabriqué pour ça. Ce que tu fais là, j'appelle ça une faille. Voilà. C'est une faille dans ta programmation. Une grosse faille, fatale pour l'humanité.
- Arrête de pleurnicher. Si tu ne veux pas rester avec moi pour réfléchir à la meilleure solution pour cette pseudo-humanité que tu défends tant…
- Mais même s'ils sont fait de circuits, ils sont encore des hommes, je les ai connu en tant qu'hommes ! Je peux pas croire qu'aucune once de vie ne circule dans ce que tu appelle maintenant des machines. Tu oublie plusieurs détails : l'esprit, l'âme… Condamner l'humanité est si facile. M'obéiras-tu si je te demande de tout arrêter ?
- Non.
- Alors je ne veux pas vivre. La vie sans son sel ne m'intéresse pas.
- C'est là ton dernier mot, Georges ?
- … »
Le dôme géant qui englobait la ville se mit alors à craquer sous les coups du monstre géant.
Puis à s'effondrer. En quelques minutes, la ville fut ensevelie sous des décombres.
« Perdu !!!!
- Tant pis. Je ferai mieux la prochaine fois.
- On va jouer dehors ?
- Ouais, allez! »